France Gall – "Chasse-neige" : face B signée Julien Clerc
- L'Agent Secret des Chansons
- il y a 7 jours
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Chasse-neige, face B du single Caméléon, caméléon (1971), appartient à cette famille de douceurs désuètes qui finissent par nous coller à la mémoire, et particulièrement à la mienne… Elle ne claque pas comme Résiste, ne pétille pas comme Poupée de cire, poupée de son, mais elle mérite qu’on s’y attarde. Parce qu’une chanson qui ose parler d’amour et de cuillère à soupe pour braver les tempêtes mérite bien un article de l'Agent Secret.
Neige, clope et réverb
Sur la pochette du disque, France Gall est méconnaissable. Casquette vissée, petites lunettes rondes, clope au bec. Fini la jeune fille proprette, on est en 1971, l’époque change, les poses aussi. La photo signée Odile Montserrat respire la décontraction, ou du moins sa mise en scène. Derrière ce look un peu bohème, c’est une artiste en pleine mutation qu’on devine. Moins docile, plus impliquée.
C’est dans ce contexte qu’arrive Chasse-neige, posée en face B du très nerveux Caméléon, caméléon.
Caméléon, caméléon, la face A turbulente
Avant de parler de Chasse-neige, un mot sur sa grande sœur de vinyle. Caméléon, caméléon entre comme une tornade : piano sec, réverb’ galopante, puis basse, guitare, bongos, cuivres. Une mini-revue à elle toute seule. France y chante un homme changeant, insaisissable, qu’elle aimerait garder, mais qui s’évapore. Qui a dit Julien Clerc ? On ne balancera personne… mais disons que le gars en question s’appelle liberté et qu’il aime les projecteurs.
Chasse-neige, la face B discrète mais têtue
Et voici Chasse-neige,
. Douce, sans esbroufe, comme une couverture pliée au pied du lit. Ce n’est pas une ballade bouleversante, c’est une ritournelle tendre, un peu naïve, qui semble raconter une petite histoire sans importance, mais qui cache un pan entier de l’intimité de France Gall. L’amour, la persévérance, l’envie de tout affronter pour l’autre. Même la neige, même la montagne, même sans équipement.
Je chasse la neige / Et le frimas et le verglas / Jusqu’au bout de l’Himalaya / Je trouverai tes bras.
C’est enfantin, il y a une forme de pureté dans cette promesse d’amour qui ne recule devant rien, même pas les pires conditions météo. Ce n’est pas la chanson d’une femme forte au sens moderne, c’est celle d’une femme déterminée à rester amoureuse, même si cela implique de glisser sur du verglas sentimental.
Une voix, une plume, un cœur gelé
La musique lui a été offerte par Julien Clerc et les paroles sont donc signées Étienne Roda-Gil. Les deux hommes forment à l’époque un duo explosif : Ce n’est rien, La Californie, Si on chantait. Leur formule magique : une musique accrocheuse + des textes faussement simples, bourrés d’images et de petits décalages.
Mais ici, le succès n’est pas au rendez-vous. Peut-être parce que la chanson est trop tendre, pas assez mordante. Peut-être aussi parce que le texte manque un peu de nerf. Et pourtant, France y met toute son honnêteté. Elle chante avec cette sincérité qui est sa marque de fabrique. Juste une fille qui dit : « Je t’aime, et je suis prête à tout, même à affronter les Alpes avec des couverts de cantine. »
Une période de transition
Ce disque chez Atlantic marque une parenthèse dans la carrière de France Gall. Elle vient de quitter La Compagnie, maison de disques en faillite. Bernard de Bosson, patron de la jeune filiale française d’Atlantic, parie sur elle. Il veut relancer sa carrière avec une nouvelle équipe. Mais le public ne suit pas. Ce disque ainsi le précédent C’est cela l’amour se vendent mal. France, elle, sent que quelque chose ne colle pas. Elle rêve de retravailler avec Rivat et Thomas, ses auteurs fétiches, mais ils sont pris. Alors elle part, un peu frustrée, un peu perdue.
Bernard de Bosson dira plus tard : « Elle me devait encore quatre ans de contrat, mais je l’ai laissée partir. Elle m’a dit : “Tu verras, Bernard, je reviendrai.” » Elle avait raison. Deux ans plus tard, elle revient, et avec elle, Michel Berger. Et là, tout change. La déclaration d’amour, les tubes, la reconnaissance... Mais ça, c’est une autre histoire.
Une trace dans la neige
Chasse-neige n’a jamais été éditée en CD. Elle dort dans les recoins oubliés des bacs à vinyle. L’ancienne star yéyé qui n’est plus vraiment là, la future muse de Michel Berger qui n’est pas encore arrivée. Mais réécoutez Chasse-neige, même si elle gratouille un peu sur la platine. Laissez-la vous parler d’un amour obstiné, d’un courage naïf, d’un cœur qui ne se laisse pas geler.
France Gall, même quand elle glisse un peu, reste toujours touchante. Parce qu’elle ne triche pas. Parce qu’elle ose l’amour sans panache, juste avec une chanson. Et une cuillère à soupe.
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