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Eartha Kitt : comment Santa Baby a transformé Noël en numéro de cabaret


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Nous sommes en 1953. Chez RCA Victor, on a une mission : trouver à Eartha Kitt une chanson de saison. C’est une époque où on demande aux artistes de faire des disques de Noël un peu comme on demande à un enfant de goûter les épinards. On n’a pas vraiment envie, mais c’est la tradition.


On mandate alors deux auteurs : Joan Javits, nièce du sénateur Javits, et Philip Springer, compositeur prolifique. Ils inventent un pseudonyme, Tony Springer, censé représenter un compositeur imaginaire affilié à BMI, à cause de la guerre froide entre BMI et ASCAP.

Springer compose la musique en dix minutes et a ensuite déclaré que c’était l’une de ses pires chansons... La suite de l’histoire se chargera gentiment de lui prouver qu’il n’est pas toujours le mieux placé pour juger ses propres bébés musicaux.


Eartha Kitt entre en scène : la naissance du mythe


Eartha Kitt, à l’époque, est une femme féline, théâtrale, glamour, politiquement engagée, dotée d’un bon sens de la provocation.

Quand elle enregistre la chanson le 5 octobre 1953, avec l’orchestre d’Henri René, elle ne se contente pas de chanter. Elle joue, elle sourit avec sa voix, elle fait rouler le “baby” comme du velours sur un parquet ciré. Sa performance transforme une liste au Père Noël en manifeste d’une femme qui sait exactement ce qu’elle veut.

Yachts, duplex, bijoux, fourrures en zibeline : rien n’est trop beau. C’est un numéro burlesque, délicieusement décalé, qui rappelle une tradition du music-hall américain : la femme qui renverse le rapport de force.


Quand la chanson sort, certains sourient, d’autres se crispent. Pour beaucoup, c’est “trop suggestif pour Noël”. Pour d’autres, c’est une impertinence délicieuse. Contre toute attente, Santa Baby devient le plus grand succès de Noël en 1953.


Eartha Kitt, la femme qui ne laisse personne indifférent


Un détail important : Eartha dérangeait. Pas seulement parce qu’elle roulait ses “r” comme personne, mais parce qu’elle incarnait une sensualité assumée dans une Amérique coincée entre puritanisme et hypocrisie. Elle était aussi afro-américaine, ce qui ajoutait une couche de tension dans une industrie où les chansons jugées “trop sexy” étaient tolérées à condition qu’elles soient chantées par des artistes bien blanches.


Eartha, elle, ne demandait l’autorisation à personne. Elle prenait la scène, elle prenait la chanson, elle prenait l’espace. Santa Baby fait partie de ces titres qui ont construit son personnage : une femme drôle, indépendante, troublante, un peu dangereuse, absolument fascinante.


La revanche du standard


Le temps a passé, mais la chanson n’a jamais disparu. Elle a même pris un peu plus de galon chaque décennie. Même si en 2019, un sondage britannique l’a classée neuvième chanson la plus agaçante des fêtes. Et en 2021, un sondage américain, carrément première. Comme quoi, déranger reste un talent durable.


En parallèle, Santa Baby est devenue un classique incontournable, retournant dans les charts chaque mois de décembre, et devenant un morceau fétiche des playlists de Noël.



Les autres versions satellites


Les reprises sont nombreuses, et parfois discutables. Madonna a été l’une des premières à en faire une version pop acidulée, qui a relancé l’intérêt pour le morceau dans les années quatre-vingt. Eartha, fidèle à elle-même, n’a jamais apprécié l’association.


Kylie Minogue, Ariana Grande, Taylor Swift, Gwen Stefani… toutes ont fini par enregistrer Santa Baby. Certaines versions sont charmantes, d’autres sont des curiosités. Et puis il y a Michael Bublé, dont l’interprétation est considérée parmi les pires. On pourrait disserter, mais restons bienveillants : tout le monde n’est pas Eartha Kitt.


Eartha, pour toujours


Ce qui distingue la version originale, ce n’est pas la mélodie, ni même l’humour du texte. C’est cette manière qu’a Eartha de s’adresser au Père Noël comme à un sugar daddy potentiel, sans jamais tomber dans la vulgarité ou la parodie totale. Elle fait respirer la chanson. Elle lui donne un contexte, un clin d’œil, un esprit.


Un standard de Noël ? Oui.
 Mais un standard comme seul Eartha Kitt pouvait en inventer le parfum : suave, brillant, et définitivement glamour.


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