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Nana Mouskouri – “No Moon at All” : une nuit sans lune, mais avec Quincy



Il y a des albums qu’on découvre un jour par accident. Et là, coup de foudre. C’est ce qui s’est passé avec The Girl from Greece Sings, ce disque new-yorkais un peu fantôme de Nana Mouskouri, produit par Quincy Jones. Oui, le Quincy Jones, futur alchimiste du son pour Michael Jackson, Sinatra et cie. On ne s’attend pas à le croiser derrière un album de Nana. Et pourtant.

 

Soyons honnêtes : pour moi et pour beaucoup, Nana Mouskouri, c’était surtout des robes longues, des lunettes carrées et des chansons entendues dans les émissions du samedi soir. Pas vraiment le genre à faire swinguer un club de jazz enfumé.

 

Et pourtant, ici, on est ailleurs. Dans un monde feutré, élégant, où la lune a disparu, mais où la magie opère.

 

Une chanson sans lune… mais pleine de promesses

 

No Moon at All, en ouverture de l’album, est un petit bijou. Écrit en 1947 par David Mann (musicien précoce et pianiste du président Truman) et le parolier Redd Evans, le morceau est un standard jazz à l’humour tendre et espiègle. Une nuit sans lune, pas d’éclairage, pas même celui des lucioles — tout est parfait pour un baiser volé à l’abri des regards. La version originale de Doris Day joue la carte du swing up-tempo, classe à l’américaine, brushing impeccable et regard en coin.

 

Et puis, arrive Nana. Quinze ans plus tard. Une voix cristalline, un accent grec à peine perceptible, et surtout une interprétation toute en retenue. L’arrangement, signé Quincy Jones, enveloppe la chanson comme une brume douce. C’est feutré, c’est moelleux, c’est parfait.

 

Nana à New York : la parenthèse enchantée


En 1962, Nana Mouskouri n’a que 28 ans. Elle vient de Grèce, avec une solide formation classique et une curiosité insatiable. À Paris, Quincy Jones l’entend chanter Les Roses blanches de Corfou. Il a un coup de cœur. Il l’embarque à New York. Là-bas, elle enregistre avec lui pour le marché américain cet album The Girl from Greece Sings, entièrement composé de standards, dans une ambiance jazz feutrée.

 

Le disque s'avérera être une parenthèse enchantée dans la discographie de Nana. Juste du jazz. Du vrai. Et surtout, une production à tomber. Parce que Quincy Jones ne fait jamais les choses à moitié : l'orchestre est dirigé par Torrie Zito (futur arrangeur de Lennon pour Imagine) et l'ingénieur du son est Phil Ramone, qui gagnera son premier Grammy l'année suivant pour l'album mythique Getz/Gilberto...

  

Un disque hors du temps

 

Dès No Moon at All, le ton est donné. L’ambiance est nocturne, on imagine des ruelles new-yorkaises mouillées et une vieille Chevrolet garée sous les arbres. La section rythmique est souple, les cuivres sont discrets. Tout est là pour laisser la voix respirer.

 

Et Nana chante ça comme une confidence. Elle ne cherche pas à imiter les Américaines. Elle n’est pas une “jazz singer” au sens classique. Elle apporte autre chose : un mélange d’élégance et d’humilité, une douceur dans la diction, une émotion qui affleure sans jamais forcer.



Quincy Jones, le faiseur de magie

 

Quincy Jones, en maître du son dans cet album, choisit les morceaux avec soin : What Now My Love (la version anglaise du Et maintenant de Bécaud), Smoke Gets in Your Eyes, Till There Was You… Mais surtout, il accompagne la chanteuse avec finesse, en respectant sa singularité. Il travaille sa diction, lui apprend à placer chaque mot, à jouer avec les silences. Et ça fonctionne.

 

Alors pourquoi ce disque est-il resté dans l’ombre ? Peut-être parce qu’il ne ressemblait à rien de connu à l’époque. Trop sophistiqué pour les amateurs de variété. Trop sage pour les puristes du jazz. Nana était inclassable.

 

Au fond, c’est peut-être le seul moment où elle aurait pu bifurquer vers une carrière de grande chanteuse de jazz internationale. Elle avait tout : la voix, la sensibilité, l’encadrement, le studio new-yorkais, les rencontres magiques (Louis Armstrong un jour, Duke Ellington le lendemain, Miles Davis le surlendemain…). Mais voilà, elle ne s’est jamais vraiment sentie à sa place dans ce monde. “Je n’appartenais pas à cet univers”, a-t-elle confié.

 

Un album intemporel

 

Lorsqu’il est réédité en 1999 sous le titre Nana Mouskouri in New York, on redécouvre un album hors du temps. Chaque titre est une leçon de retenue, d’équilibre, de style. Si vous ne connaissez que la Nana de la variété internationale, il est grand temps d’écouter celle du jazz new-yorkais. Celle que Quincy Jones a su révéler, le temps d’un disque.

 

No Moon at All en est le joyau d’ouverture. Une chanson d’ombres et de silences, d’intimité et de suggestion. Une chanson sans lune, certes, mais avec toute la lumière que peut contenir une voix juste.


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